L’Art Contemporain est-il dérisoire et affligeant ?

L’art dit contemporain : André Comte-Sponville, un adolescent capricieux !

La veille technologique et culturelle m’est indispensable pour exercer mes activités de façon honorable. Il y a plusieurs mois, j’ai découvert un vidéogramme surprenant intitulé « L’art dit contemporain » : André Comte-Sponville. Ce vidéogramme a été mis en ligne le 15 février 2010 par les archives des éditions du salon d’Automne sur « Dailymotion » à l’adresse suivante : https://www.dailymotion.com/video/xc8hhc.

Afin de faciliter vos recherches, j’ai intégré ci-dessous cette vidéo dans la page.

Le titre de cet article est un peu racoleur, mais il faut bien utiliser les techniques de la rédaction Web « 3.0 » pour augmenter son audience et sa notoriété. Depuis des années, je suis le spectateur de nombreuses conférences et colloques sur toutes sortes de sujets susceptibles de m’intéresser. J’ai l’impression d’aller au théâtre. L’un après l’autre, nous nous asseyons sur des fauteuils de velours incarnat, on regarde autour de soi et l’on fait quelques signes de tête aux personnes que l’on reconnaît. Il y a des temps d’attente, des temps de préparation, des tests micros, et toutes sortes de petites choses qui retardent le début du spectacle. En face, se trouve une tablée d’individus les plus illustres dans leur domaine de compétence. En général, le premier orateur, présente, remercie et passe un bon quart d’heure dans une phonation d’information débordant la plupart du temps du thème du colloque.

Aujourd’hui avec les vidéogrammes que l’on peut trouver sur Internet, il est possible d’assister à une multitude incroyable de conférences, de colloques, d’interventions en étant assis derrière son ordinateur. Les nouveaux « player vidéo » permettent même d’accélérer le « tempo », ou la cadence si vous préférez, ce qui permet d’entendre une conférence d’une heure pour la ramener à une demi-heure. Certes, la voix et le rythme sont accélérés, mais il devient facile d’aller rapidement à l’essentiel.

Le thème du colloque

L’art dit « contemporain ». Lorsque j’ai vu le mot « dit » qui sépare les termes « art et contemporain », tel le corbeau, je ne me sentis pas de joie. Les idées, les petites phrases, vont contribuer à organiser une polémique. Je jubilerai devant ce combat de coqs. Le meilleur orateur remportera la victoire.

Depuis des années, je suis harcelé, lors de réunions avec des personnes qui veulent en découdre avec moi sur le thème de l’art contemporain. Pour eux, je suis diplômé de l’école des beaux-arts et j’ai reçu un enseignement en arts plastiques en vue de l’agrégation. Je suis donc, par essence, probablement le spécialiste de leur entourage proche qui pourra répondre à toutes sortes de raccourcis sur le thème de l’art contemporain. À chaque fois, le discours est le même et les arguments sont puisés dans une nasse remplie d’idées reçues et contradictoires. J’ai l’impression d’être un curé catholique qui serait entraîné dans un jeu de questions-réponses par un quidam désirant moucher l’homme d’Église en utilisant le Saint Graal de l’argument imparable : « … et la Saint-Barthélemy alors ! ».

Depuis 24 ans que je fais, entre autres, de la formation dans le domaine des arts graphiques et des arts plastiques, j’ai travaillé mes réponses. Aujourd’hui, c’est avec facilité que je formule des raisonnements hiérarchisés, en prenant la main des plus récalcitrants. Je leur fournis des clés de compréhension et souvent ils finissent par rallier mon étendard. Certains ne sont pas touchés par mes arguments, et là, j’avoue, je les laisse choir. Difficile d’expliquer la glace à quelqu’un qui ne connaît pas l’eau.

Dans le premier vidéogramme, André Comte-Sponville donne son point de vue sur l’art contemporain. J’ai l’impression de me retrouver en petit comité où le même combat recommence. Il faut bien sûr regarder le vidéogramme pour s’en convaincre, mais j’ai extrait ici quelques idées avancées par Comte-Sponville.

André Comte-Sponville.

Je suis un peu gêné aux entournures, car Monsieur Comte-Sponville est un homme charmant, intelligent, brillant. De surcroît, il est Docteur honoris causa et Chevalier de la Légion d’honneur. En 1996, il a obtenu le prix « La Bruyère », qui est un prix de philosophie décerné par l’Académie Française. André Comte-Sponville n’a pas toujours eu une vie idyllique. En effet, il a traversé de nombreuses difficultés personnelles. Comment moi, petit scarabée, je me laisse entraîner, par une foi de plasticien, à contredire Monsieur André Comte-Sponville ? Mais il représente, de façon exemplaire, les adversaires de mes joutes verbales au sujet de l’art contemporain.

Voici quelques phrases extraites de son intervention :

« Cela fait plus de 30 ans que je considère que ce que l’on appelle l’art contemporain … est à la fois grotesque, dérisoire et affligeant. Après quelques années d’efforts, pour vérifier que mon rejet n’était pas seulement fondé sur mon ignorance, j’ai cessé, en vérité, de m’y intéresser. » (01 :41 à 02 :04).

  • « Il est difficile de retenir le nom d’artistes que l’on méprise. » – (02 :16)
  • « … sur l’art contemporain, je me sens très incompétent et depuis très longtemps » (02:28)

Ici, je suis extrêmement perplexe par cette argumentation. J’ai l’impression d’être au café du coin de la rue et de discuter d’un sujet quelconque. Là, j’entends mon interlocuteur me répondre : « je ne sais pas et je m’en fous ».

Peinture numérique sur toile d'André Comte-Sponville est un philosophe français. Il a été membre du Comité consultatif national d'éthique de 2008 à 2016.

Portrait d’André Comte-Sponville à la manière de l’éloge de l’approximation

André Comte-Sponville enchaîne sur l’exposition Kasimir Malevitch à Beaubourg et prend comme référence le fameux « carré blanc sur fond blanc ». Il se met à interroger l’universitaire de service, professeur d’histoire de l’art qui ne tarissait pas d’éloges sur cette œuvre. André Comte-Sponville demande à l’enseignant s’il trouve cela beau (sic). De façon très ironique, André Comte-Sponville imite le professeur qui lui répond : « là vraiment, ce n’est pas la question » (03 :00). Quelques secondes plus tard, notre philosophe amuse l’assemblée par un exemple n’ayant que peu d’intérêt : « Pourrait-on imaginer que le carré blanc fût remplacé par un point blanc ? ».

CB sur FB

Kasimir Malevitch : Carré blanc sur fond blanc – 1918 – huile sur toile

Si André Comte-Sponville cherche de la beauté en art contemporain, cela prouve qu’il n’a pas compris les tenants et aboutissants de cette discipline.

 

Après quatre minutes, je me rends compte qu’André Comte-Sponville comprend mal l’art contemporain parce qu’il n’en saisit pas les enjeux. Il conclura cette partie en expliquant que : « Parler de Buren est une faute de goût et un péché contre l’intelligence ».

« Certains artistes contemporains et leurs dits « admirateurs » font une erreur qui consiste à trouver une œuvre nulle d’un point de vue plastique, mais par la richesse du discours, elle est capable prétendument de susciter un émoi. Aucun discours ne peut sauver une œuvre nulle » « À un moment, il est nécessaire de laisser le premier et le dernier mot à l’art, au goût (éclairé), à la sensibilité, à l’amour ou au contraire au dégoût et au mépris » – (06 :14)

Pour André Comte-Sponville, être contemporain, c’est être d’aujourd’hui dans le même temps que soi. Donc un artiste contemporain, c’est un artiste du début du XXIe siècle. Être contemporain n’est autre qu’un fait. Il ajoute même : « Quand je dis qu’un peintre est un contemporain, vous ne savez rien de sa peinture ».

Par la suite, le philosophe se perd dans le contexte de la contemporanéité en y intégrant les sciences et des notions temporelles. Il est facile de comprendre son erreur. Effectivement, André Comte-Sponville n’a pas compris que l’art contemporain n’était pas l’art d’aujourd’hui, mais était simplement un « label ». D’ailleurs, Aude de Kerros prend bien soin d’expliquer que le terme « art contemporain » est un label, une étiquette, en écrivant systématiquement l’acronyme « AC ». Vous retrouverez cette référence dans : « L’imposture de l’art contemporain : une utopie financière ». Un ouvrage que je vous conseille vivement de vous procurer.

Aude de Kerros est Graveur, peintre, et essayiste. Lauréate du prix Adolphe Boschot de la critique d’art en 2012

Portrait d’Aude de Kerros à la manière de l’éloge de l’approximation

Pour bien faire comprendre l’incompréhension d’André Comte-Sponville, je ne peux m’empêcher de vous proposer de lire le livre de Nathalie Heinich : « Le paradigme de l’art contemporain – Structures d’une révolution artistique ». Grâce à ces deux ouvrages, le débat n’a plus raison d’être. Ces livres ne sont pas fondamentalement difficiles à aborder, mais demandent à connaître beaucoup de références. Il est vivement conseillé de lire ces ouvrages en ayant un appareil connecté à Internet.

Peinture numérique sur toile de Nathalie Heinich est une sociologue française. Elle est spécialiste de l'art, notamment de l'art contemporain.

Portrait de Nathalie Heinich à la manière de l’éloge de l’approximation

« Considérer l’art contemporain non plus comme une catégorie chronologique (une certaine période de l’histoire de l’art), mais comme une catégorie générique (une certaine définition de la pratique artistique) me semblait avoir l’avantage de permettre une certaine tolérance à son égard. » – Nathalie Heinich

Extrait du vidéogramme de Nathalie Heinich : Agora des Savoirs – Nathalie Heinich – L’art contemporain : une révolution artistique ? : https://www.youtube.com/watch?v=xhclwyYYbtY&lc=UgjhyCEl_rb0gXgCoAEC

« À l’instar de l’art moderne, l’AC partage l’impératif de la transgression par la singularité et l’expérimentation. Il ne s’agit pas de reproduire de façon relativement impersonnelle des conventions, comme dans l’art classique, il s’agit de produire de nouvelles façons de faire, fortement personnalisées. L’AC se distingue de l’art moderne, car la transgression ne porte plus sur la convention de la figuration, mais sur la notion même d’œuvre d’art, sur la frontière entre l’œuvre d’art et un objet du monde ordinaire. Cette expérimentation systématique de la frontière entre art et non-art est le propre de l’AC. Dans la formulation « art et non-art », il ne s’agit pas d’une définition essentialiste ou substantialiste, l’art devient signifiant pour les contemporains lorsqu’ils arrivent à le concevoir. C’est sur ce point que l’AC va exercer son expérience transgressive.

La préhistoire de ce paradigme de l’AC.

Cette préhistoire commence en 1910 avec les « ready-made » de Duchamp. Cela montre, à tel point, qu’il faut se départir d’une notion chronologique de la notion d’art moderne et d’art contemporain. Pour les spécialistes un AC a plus de 70 ans et n’est pas du tout dans la contemporanéité. Sa nature générique, ce sont ses propriétés spécifiques qui fondent sa spécificité et non pas son inscription dans une chronologie. Les prémices de l’AC sont apparues en plein « boum » de l’art moderne. Duchamp avec ses fameux « ready-made » des années 1910 fait un geste absolument emblématique en ouvrant les portes de l’AC en prenant un objet ordinaire et en le présentant dans un contexte artistique comme étant une œuvre d’art.

Duchamp achète un urinoir, sans doute l’objet le plus trivial que l’on puisse imaginer, le plus industriel, le plus sériel, le moins personnel et de mauvais goût : transgression de l’individualité, de la personnalité, du bon goût. Duchamp va apporter son urinoir nommé « fountain » (fontaine) au salon des indépendants dont il était coorganisateur. Ce salon avait pour caractéristique de ne pas avoir de jury. Pas de sélection et donc ouvert à tout artiste qui pouvait exposer. Une façon de mettre à l’épreuve le fonctionnement de ce salon et faire cette provocation. Duchamp apporte l’objet et prend soin de ne pas signaler qu’il en était l’auteur et avait signé « R. Mutt » et une date « 1917 ». Par amusement, il a orienté sa signature pour que l’objet soit positionné de façon à le rendre inutilisable. Ainsi, l’urinoir peut devenir une « fontaine ». Contre la pensée commune (des historiens d’art), l’urinoir n’a jamais fait scandale pour la bonne et simple raison que l’œuvre n’a retenu l’attention de personne. L’objet a été relégué dans un couloir puis l’original fut perdu. 40 ans plus tard, dans les années 50 – 60, Duchamp, revenu en France et ayant peut-être besoin d’argent (on ne connaît pas vraiment sa motivation) a décidé de proposer à la vente sur le marché de l’art plusieurs exemplaires de ce fameux urinoir. Il l’a fait sur la base d’une légende qui s’était formée autour de cet objet. Grâce à son intelligence, Duchamp publie en 1917 dans la revue « The blind man » de son ami Alfred Stieglitz un article sur cet urinoir avec photo en utilisant un pseudonyme. Il a fait l’exégèse très savante de cette nouvelle œuvre. C’est sur la base de cette photo et de cet article qu’il a pu, par la suite, introduire ces répliques dans le monde de l’art. Il en a vendu à des galeries et à des musées. Contrairement à l’art classique et à l’art moderne, en AC l’œuvre ne réside pas dans l’objet proposé par l’artiste, mais dans l’ensemble des discours, des actes et de tout ce que cette proposition entraîne. La légende autour de « Fountain » fait l’œuvre, ou plus exactement, est l’œuvre de Duchamp. Sans la proposition initiale, ce discours n’aurait pas lieu. Dans cette œuvre, l’original a disparu et cela ne dérange personne. Ce qui fait œuvre dans cette proposition, c’est l’idée et le geste. Ainsi l’œuvre dans l’AC n’est pas dans l’objet, ce qui est une caractéristique essentielle et l’œuvre peut résider uniquement dans l’idée. Cela ne veut pas dire que tout l’AC est forcément conceptuel. Le concept est un des genres principaux de l’AC et accompagne la performance. Un des exemples les plus emblématiques concerne une des premières œuvres de l’artiste américain Robert Rauschenberg : une feuille de papier presque vierge dans un simple cadre doré. L’œuvre a été créée en 1953 par Rauschenberg en effaçant un dessin qu’il a obtenu de l’artiste américain Willem de Kooning. Le titre de l’œuvre se nomme « Erased de Kooning Drawing » (Dessin réalisé par de Kooning effacé). Commence, alors, une attaque de la structure même de ce qu’est une œuvre d’art. Nous penserons immédiatement à l’exposition d’Yves Klein nommée « l’exposition du vide ». La transgression des frontières de l’art devient partie prenante en repoussant l’ensemble des limites. »

Nathalie Heinich poursuit par de nombreux exemples qui prouvent l’inexactitude du propos d’André Comte-Spomville et de son incompréhension de l’AC avec un manque d’ouverture d’esprit tel un adolescent capricieux.

Dans la deuxième partie de son intervention, André Comte-Sponville met en évidence des poncifs sur la spéculation et sur le marché de l’art. Cette deuxième partie n’apporte rien sur la compréhension de l’art contemporain.

Ci-dessous, vous trouverez les liens classés afin de vous permettre de suivre l’ensemble du colloque.

En guise de péroraison, je voudrais insister sur l’importance de certains livres fondateurs. Je prendrais à titre d’exemple un ouvrage tout à fait intéressant qui vous permettra de comprendre, si vous le souhaitez, l’art non figuratif. Il s’agit de : « Du spirituel dans l’art et dans la peinture en particulier » de Kandinsky. Grâce à une anecdote amusante, vous découvrirez la naissance de l’art non figuratif.

Vive l’AC !!!

Pierre Tomy Le Boucher

Nathalie Heinich : Le paradigme de l'art contemporain structures d'une révolution artistique
Nathale Heichich
Aude de Kerros : L'imposture de l'art contemporain: Une utopie financière
Aude de Kerros
Wassily Kandinsky : du spirituel dans l'art et dans la peinture en particulier
Vassily Kandinsky