
L’humour en arts plastiques est une politesse du désespoir, un éclat de rire lancé à la face du sérieux compassé qui fige les musées dans une austérité monacale. Il est un pas de côté, un clin d’œil complice à celui qui regarde, un défi lancé aux conventions. De l’irrévérence d’Andy Warhol à l’insolence de Marcel Duchamp, il tisse un fil invisible entre la dérision et la subversion.
Andy Warhol – Do It Yourself (Landscape), 1962
Andy Warhol, prophète du consumérisme, détourne les codes de la production industrielle pour les retourner contre leur propre vacuité. Avec Do It Yourself (Landscape), il pastiche les livres de coloriage enfantins en les projetant dans la sphère de l’art, privant ainsi le spectateur de sa passivité. Les zones laissées vierges, par leur simplicité désarmante, oscillent entre ironie et candeur : le créateur n’est plus l’artiste, mais celui qui regarde et remplit. Warhol, d’un geste sardonique, rend dérisoire la question de l’originalité, ce totem que le marché de l’art vénère avec tant de componction. (Voir l’image : https://shorturl.at/9u7AW)
Maurizio Cattelan – Le Doigt d’Honneur
Le nihilisme jubilatoire de Maurizio Cattelan trouve dans L.O.V.E., plus connu sous le nom de Le Doigt d’Honneur, une quintessence provocatrice. Cette sculpture de marbre, dressée devant la Bourse de Milan, est une insulte muette mais tonitruante à l’édifice du capitalisme. En supprimant les autres doigts d’une main, Cattelan produit une icône d’une irrévérence glaçante et solennelle, un sarcasme taillé dans l’éternité du marbre. L’œuvre, d’une frontalité dérangeante, est à la fois monument et bras d’honneur, déclamation de l’absurde et condamnation silencieuse. (Voir l’image : https://shorturl.at/ZkwgF)
Piero Manzoni – Merda d’artista
Sans doute l’une des moqueries les plus acerbes jamais infligées à l’art moderne. En 1961, Piero Manzoni met en boîte son propre excrément et le vend au prix de l’or. L’art, cette substance immatérielle et noble, se voit réduit à un produit de l’organisme, assimilé à une marchandise. L’ironie est cinglante : le marché de l’art, toujours avide de rareté, transforme la plus triviale des productions humaines en objet de spéculation. La critique se double d’un humour décapant, manzonnien jusqu’à l’absurde : qui possède l’œuvre, possède-t-il réellement quelque chose, ou est-il le dindon d’une farce spectaculaire ? (Voir l’image : https://shorturl.at/LCLLA)
René Magritte – Le Modèle rouge
Sous les apparences policées du surréalisme magrittien, l’humour affleure dans une inquiétante étrangeté. Le Modèle rouge déconcerte en travestissant l’ordinaire : les chaussures deviennent des pieds, ou les pieds se métamorphosent en cuir verni. Cette fusion hybride opère un double renversement : d’un côté, elle évoque un conte grotesque où l’accessoire et le corps ne font plus qu’un ; de l’autre, elle accentue le caractère absurde de notre accoutumance aux objets manufacturés. Magritte joue ici de l’inconfort du regardeur, de cette hésitation entre le rire et le malaise. (Voir l’image : https://shorturl.at/ncXkf)
Marcel Duchamp – L.H.O.O.Q. et Fontaine
Si l’on devait résumer la quintessence de l’humour en art, Marcel Duchamp en serait le parangon. Avec L.H.O.O.Q., il travestit la sacro-sainte Mona Lisa en lui affublant une moustache et un bouc, puis il glisse un calembour salace dans son titre. Ce blasphème facétieux, loin d’être une simple provocation potache, interroge la vénération excessive des chefs-d’œuvre et la sacralisation des icônes culturelles. (Voir l’image : https://tinyurl.com/mrcjefrk)
Mais c’est Fontaine, l’ultime bras d’honneur à la solennité artistique, qui scelle son génie. Cet urinoir renversé, signé R. Mutt et soumis au jury d’une exposition en 1917, est l’acte fondateur du ready-made. Duchamp y orchestre un renversement radical : l’art ne se trouve plus dans l’objet lui-même, mais dans le regard posé sur lui. À travers ce détournement trivial, il se rit de l’illusion du beau et impose la prééminence de l’idée sur la matière. Qui plus est, l’ironie se niche jusque dans la forme de l’objet : disposé ainsi, si l’on venait à l’utiliser, la miction retournerait inexorablement à l’envoyeur, rendant tangible et immédiate l’absurdité de la situation. L’humour, ici, n’est pas simple moquerie : il est philosophie, il est subversion, il est révélation. (Voir l’image : https://tinyurl.com/2dhd22ss)
Loin d’être un simple divertissement, l’humour en art est un scalpel qui dissèque nos certitudes. Il est une provocation jubilatoire, un rire qui ébranle les institutions et questionne le sacré. Il rappelle que l’art, lorsqu’il cesse de se prendre au sérieux, n’en est que plus profond.