L’éloge de l’approximation
Mémoire et propositions plastiques
Mes propositions plastiques concernent le concept des déperditions de la mémoire et ce qu’elles entraînent sur la perception. J’interroge la mémoire digitale qui devient un renfort froid et non émotionnel du souvenir. Mes images sont pleines de trous à l’instar de la Gestalt. Il s’agit d’une perception relative, mais suffisante pour la reconnaissance d’un individu comme une image sortie d’un souvenir vaporeux. Il s’agit d’un travail sur la (Re)-connaissance à partir de formes clefs qui prennent sens dans une globalité servie par une structure de polygones constitués de droites (abstraction de la courbe).
Du Concept à la Plasticité
La mémoire est composée de petits fragments qui flottent dans une énorme masse d’oubli. Le souvenir est un objet vivant, oublié, transformé, reconsolidé, déplacé. Ainsi l’imperfection de la mémoire devient la métamorphose de la mémoire. Cette imperfection fait partie de notre humanité. Il s’agit de la plasticité cérébrale avec une adaptation et un apprentissage tout au long de notre vie. Le cerveau se modifie en permanence. C’est un réseau fluide, non statique et non contrôlé qui inclut une adaptation.
Mon travail conceptuel consiste à sélectionner une interrogation et solliciter la discipline où je pense qu’il m’est possible de participer. Cette élaboration de la question crée une tension, une argumentation qui s’exprime dans une réalité plastique.
Le sujet
Le sujet est un prétexte. Un prétexte pictural au service d’une expression. Un moyen mnémotechnique qui entretient une relation directe avec la préoccupation quasi permanente de l’efficience de notre mémoire. Cette mémoire qui concerne la vie de tous les jours. Elle guide nos gestes à chaque instant. Ce jeu de mémoire doit être capable de distinguer une information ancienne. Autrement dit, l’information est apprise, ce qui la différencie d’une information nouvelle qui sera peut-être mise dans un coin de notre âme, où sont conservées pêle-mêle, dans un modèle multi-systèmes, les informations codées sous la forme de représentations symboliques échappant au sensoriel et à la motricité.
Il s’agit d’un traitement de l’information qui surgit à un moment opportun d’une conversation où le permanent de l’information, ou l’élément indistinct, se raccroche à plusieurs réalités. Le vécu et le rêve enchevêtrés qui lâchent une information décontextualisée et amodale.
Voir le vidéogramme sur Michel Onfray
Le cerveau
Le cerveau effectue une récupération instantanée qui peut être facilitée par la présence d’éléments similaires dans la situation de récupération. Il s’agit d’un fonctionnement cognitif à un niveau symbolique qui se focalise sur la structure des différents systèmes de mémoire ainsi que sur leur contenu.
Le cerveau, devenu réservoir de connaissances, stocke et restitue. Le jeu du plasticien consiste à créer la plus grande distance avec l’image réelle ou l’image photographique en ne gardant que quelques formes strictes qui deviennent le Saint Graal de la reconnaissance. Il s’agit de transformer une impression première qui devient signe de liberté en modifiant le système perceptif.
La mise en forme de mon travail se veut spécifique et cet aspect stylistique est lié à ma réflexion sur la transmission de la connaissance relevant de la mémoire, enrichie par mes activités de communicant et d’enseignant.
Les nouvelles connaissances
Je pense que la nouvelle connaissance induite par Internet et les moteurs de recherche change complètement notre attitude et notre mode de pensée face à la demande culturelle. En effet, l’Internet mobile permet à tout un chacun d’avoir une réponse pratiquement instantanée sur n’importe quelle problématique. Il en résulte de nouveaux comportements en raison d’une approche approximative. Avant Internet, la connaissance s’obtenait à partir de différents canaux : les parents, les amis, les enseignants, l’entourage et bien sûr les livres. La recherche d’informations entraînait l’effort salvateur et formatif.
La réponse apportée par les moteurs de recherche et notamment « Wikipédia » annihile tout effort. Ces réponses, souvent utilisées de façon approximative, vont-elles modifier nos comportements ?
Une peinture approximative
Pour mettre en avant, pour illustrer ce questionnement, cette réflexion, je réalise une peinture approximative, imprécise, imparfaite à l’instar de la mise en place de cette nouvelle manière d’aborder la connaissance. Une connaissance approximative. C’est pourquoi les images que je propose ont une forme approximative, une inexactitude relative, une évaluation approchée. Mes images sont trouées à la façon de la Gestalt : c’est-à-dire la structure visuelle à laquelle sont subordonnées les perceptions.
Dans ce que je propose, les trous n’empêchent pas la compréhension de l’image, par contre, ils génèrent un nouveau contexte. Ils séparent le vrai de la réalité visuelle. J’aime mettre en place des constantes, des éléments signifiants ou encore un process pour rendre identifiable cette situation picturale.
L’âme ou l’êtreté.
Dans la plupart des cas, le fond est blanc et les formes de couleur sont rarement présentées à fond perdu. Ces formes restent à l’intérieur de la toile. Il n’y a aucun dégradé de couleur. Il s’agit d’aplat. Je n’utilise jamais de courbes. Ces images sont structurées de figures géométriques planes dont chacune est formée de lignes brisées fermées : le polygone. La lame rouge qui transperce le portrait représente l’âme ou l’êtreté.
La plupart de ces réalisations se nomment « Portrait » mais dans le sens de portrait-robot comme dans une enquête de police où le témoin fait de son mieux pour retrouver les traits d’un personnage. Souvent, le résultat est approximatif mais la ressemblance est certaine.
Vous l’aurez compris, l’ensemble de mes propositions plastiques et conceptuelles tourne autour de l’approximation d’une mémoire vaporeuse. Google, Facebook et les autres vont capter un maximum d’informations de chaque individu pour en créer un double digital. Ils auront une banque de données parfaite de leurs connaissances et de leurs aspirations dans le but de faciliter leur vie et leur mode de consommation.
Le cri d’alarme
Il s’agit pour moi d’un cri d’alarme pour la formation et l’apprentissage. Le fait de tout connaître facilite le raisonnement. Le fait de savoir qu’il est possible de tout connaître peut faciliter l’absence d’apprentissage.
Dans le cerveau, une émotion provoque une décharge de l’amygdale vers l’hippocampe de l’ensemble de faits augmentant de meilleures chances de créer un souvenir. Le bon enseignant organise un apprentissage fondé sur des éléments plaisir tels que la curiosité, l’esthétique, la connivence, etc. voire l’humour. Cette règle tient compte à la fois du caractère de l’enseignant, mais également du caractère des apprenants. Il doit y avoir une compatibilité.
Le souvenir a disparu !
Le cours dure une heure. En bref, la prise de notes réduira l’intervention. En conséquence, la restitution restera sommaire. Que reste-t-il de cette information après plusieurs heures, plusieurs jours, plusieurs mois, plusieurs années ? Ainsi, le souvenir a disparu ou peut-être celui-ci s’est transformé en anecdote, une anecdote limitée, en d’autres termes, une anecdote vaporeuse. Cependant, ce même cours filmé puis placé sur YouTube, permettra, de ne perdre aucune information fondatrice, mais elle éliminera l’ambiance réelle du moment. Dans ces conditions, il faudrait peut-être 10 000 caméras et microphones, placés dans l’amphithéâtre, pour tenter l’approche d’une reconstitution qui restera toutefois parcellaire, fragmentée et en distance avec la réalité.
Le photomontage et le trouble cognitif
Les faux souvenirs affectent le contenu de la mémoire. En effet, un leader de groupe pourra arriver à modifier le souvenir d’une situation vécue de façon collective.
D’ailleurs, d’autres expériences ont été réalisées en ajoutant, par photomontage, la présence d’une petite fille dans une réunion quelconque. Quelques jours plus tard, les personnes présentes à cette réunion avaient des souvenirs précis du comportement de la petite fille. Par le jeu du questionnement et de la qualité du photomontage, un certain nombre de personnes s’est inventé des souvenirs.
Ma production plastique propose de questionner le stratagème des apprenants qui ont, par exemple, l’âge de cinq ans aujourd’hui et la manière dont ils vont acquérir la connaissance : quels en seront les moyens technologiques de restitution ?
Quelques clefs pour comprendre