Description
Olivier Faure
Je profite du portrait de Monsieur Olivier Faure qui en 2018, lors du congrès d’Aubervilliers, devint Premier Secrétaire du Parti Socialiste, pour parler de résilience.
Vendredi
Je suis né un vendredi. Cela tombe bien car j’ai horreur du jeudi. Le jeudi c’est un peu plus que la moitié de la semaine, mais encore trop loin du week-end. C’est pourquoi j’ai un certain plaisir à me coucher le jeudi soir : ainsi, le lendemain est un vendredi. Souvent, les vendredis, les personnes qui m’entourent ont tendance à décompter les heures de façon plutôt enjouée.
Les photos de mon enfance
Ce vendredi-là, il était à peu près cinq heures du matin et pourtant je ne suis pas du matin, alors je me suis mis à brailler. En effet, j’avoue que les déchirures de ma mère, l’utilisation des forceps et l’angoisse de mon père n’ont fait qu’amplifier mon traumatisme. Le lendemain et le surlendemain étaient des jours calmes entourés d’amour et d’affection. Cela a duré plusieurs jours, plusieurs mois, plusieurs années.
De faux souvenirs
Aujourd’hui, je n’ai que de faux souvenirs reconstitués qui émergent au regard de certaines photos de mon enfance. Celles-ci ne sont pas si nombreuses, il faut dire qu’à cette époque, le rouleau de pellicule durait une année. Un jour, l’appareil photographique se bloquait et il était impossible de passer à la photo suivante en raison de la fin de la bobine. Patiemment, le photographe amateur utilisait la petite manivelle afin d’effectuer un rembobinage en bonne et due forme. Quelques jours plus tard, il devenait possible de revenir sur une année entière de plus ou moins joyeux souvenirs et sur les éternelles grimaces de l’un des enfants.
Puis sont venues les années Polaroid.
Leurs visages disparaissent
Au final, je n’ai que peu de souvenirs. Je me souviens du nom de quelques profs ou de quelques élèves. Ainsi, leurs visages disparaissent progressivement. Bien des années plus tard, les photographies numériques sont abondantes avec une suite d’anniversaires, de Noëls et d’autres situations familiales ou amicales. Les images de ces dernières années s’entrecroisent dans mon esprit. En effet, je cherche sur celles-ci des points de repère ou des indices temporels pour me rappeler des moments quelque peu vaporeux.
Fort de ce constat, je suis heureux de savoir que ma mémoire pleine de trous est saine, car elle est évolutive, c’est-à-dire qu’elle change avec l’âge et le contexte. La niche sensorielle organisée par mes parents a « tutorisé » le développement de mon enfance. Cette mémoire fut contrôlée par l’écriture, la parole, la représentation, l’échange et la sécurité.
Des souvenirs précis
Pourtant, il me reste quelques souvenirs précis : les traumatismes. C’est-à-dire que la mémoire traumatique est une mémoire déchirée qui entraîne une représentation de soi déchirée. Il faut intégrer les deux étapes que sont le trauma (le coup) et le traumatisme (la représentation du coup). C’est pourquoi l’humain souffre au moins 2 fois. En conséquence, le traumatisme peut-être plus saisissant que le trauma. Le traumatisme altère la mémoire et si le traumatisme se fixe, celui-ci peut entraîner un syndrome psychosomatique et le sujet devient prisonnier de son passé.
Cauchemars
Sa mémoire se fige empêchant la représentation réelle de ce qui est arrivé. Pendant les journées et les nuits (cauchemars), il ressasse son traumatisme, ce qui l’empêche d’évoluer. La mémoire traumatique a un focus ultra précis d’une situation spécifique, entourée par une enveloppe mémorielle diffuse du contexte, annihilant la situation réelle. En effet, cela crée une mémoire particulière : fixe, rigide et répétitive. Le cerveau et l’histoire d’un individu sont deux éléments initiaux pour attribuer une signification et ainsi créer une perception. Les traumas les plus sévères viennent des proches avec leurs trahisons ou la mise à jour des mensonges.
Mon institutrice
J’avais 3 ans. Je revois mon institutrice, une grande femme brune aux cheveux longs et ondulés. Elle avait de grands yeux en amande pers. Son maquillage blafard faisait ressortir ses yeux. Le rouge à lèvres était d’un rouge profond et elle était vêtue de noir de la tête aux pieds. Je me souviens, j’étais allongé, ce devait être l’heure de la sieste et je refusais sans doute de dormir ou je n’avais tout simplement pas sommeil.
L’institutrice s’est approchée de moi. Elle a fait le mouvement adéquat pour retirer sa chaussure. Il s’agissait d’une chaussure noire au vernis éclatant et au talon démesuré. Elle s’est mise à me frapper de la pointe de son talon plusieurs fois au visage de toutes ces forces en poussant des cris hystériques accompagnés de grimaces. J’utilisais mes petits bras et mes petites mains en guise de bouclier. Elle tordait sa bouche et me criait des choses effroyables dont je n’ai que le souvenir de la prosodie. Elle revenait à la charge… puis plus rien.
Processus de résilience
Alors, j’ai entamé un processus de résilience fondé sur ce souvenir très précis. Avec les années et pour me préserver, j’ai supposé que cette situation était improbable. De tels sévices auraient laissé des traces physiques indélébiles. Peut-être que j’ai oublié cette période de rétablissement, entouré par l’affection et l’amour de mes parents. Je ne saurai jamais… Il s’agit peut-être d’un vieux film en noir et blanc qui s’est tout naturellement transposé en couleur. Il est vrai que certains soirs, je me cachais sous la table de la salle à manger, protégé des regards par une nappe bien trop grande et je regardais à la télévision certains films avec un carré blanc de forme rectangulaire… Et pourtant, je la revois avec son bras armé d’une chaussure vernie reflétant les fenêtres de la salle de classe.
Boris Cyrulnick
La résilience, selon Boris Cyrulnick, c’est reprendre un développement après une agonie psychique. C’est un processus qui permet de faire face aux difficultés qui viennent de survenir et ne pas les ignorer. Il faut rebondir pour apprendre de ces expériences en capitalisant ces apprentissages et devenir plus fort. Certaines personnes sont mieux armées pour la résilience d’un point de vue physiologique, mais également psychologique grâce à un entourage positif.
Une reconstruction du passé
La mémoire saine évolue jusqu’au déni involontaire. Le contexte peut modifier la perception de certains souvenirs qui peuvent ressurgir sous un angle positif ou négatif et nous construit à la limite de la bipolarité maladive. C’est à partir du présent qu’on s’enivre du vin du passé (Baudelaire). Les souvenirs sont interprétés par un contexte global à la lumière du présent. L’émotion fixe le souvenir dans la mémoire avec sa propre perception. La mémoire est une reconstruction du passé. La souffrance est inhérente à la condition humaine : une histoire, un récit, une vie, comme l’explique Boris Cyrulnik en affirmant que le « couple peut panser les blessures de l’enfance ».
C’était un jeudi
Je vis au présent comme tout un chacun. Les chemins que j’emprunte sont souvent les mêmes, j’ai conscience du passé mais je le vis au présent. Les animaux ont une chance formidable. Ici, je pense au chien. Le chien est capable d’effectuer un retour dans l’avenir grâce à ses qualités olfactives. Il sent, il hume des odeurs qui prennent du sens. Ainsi, l’animal peut vivre au présent et dans un passé proche. L’avenir ne semble pas l’inquiéter. Toutefois, l’avenir immédiat tel qu’un geste renouvelé quotidiennement, prend un sens dans son futur. Le fait de saisir la laisse accrochée toujours au même endroit ou de sortir le paquet de croquettes de son placard correspond à un plaisir du futur immédiat.
Quant à l’homme, il profite de son présent pour ne parler que d’avenir, le passé l’entraîne souvent dans une nostalgie parfois destructrice. Il me faut aujourd’hui imaginer mon avenir. Dans cet avenir, il y aura un dernier jour, un jour pas comme les autres il s’agit bien sûr de la fin, de ma fin. Je ne connais pas encore cette date, mais je sais qu’elle aura lieu un jeudi. Décidément, je n’aime pas le jeudi.