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Pensées conceptuelles et arts plastiques

Galerie d'art contemporaine avec plusieurs visiteurs observant des peintures abstraites aux tons chauds et un portrait stylisé en fond, reflété sur le sol poli.

Chaque époque a vu naître une peinture en résonance avec son temps, tissant un dialogue entre la technique et l’idée, entre la main et l’esprit. La peinture religieuse du Moyen Âge, la majesté de la Renaissance, l’équilibre du Classicisme, la fougue du Baroque, l’élégance du Rococo, la rigueur du Néo-classicisme, l’élan du Romantisme, la lumière des Impressionnistes, l’audace des Fauves, l’introspection du Symbolisme, l’épure du Minimalisme, la fulgurance de l’Expressionnisme, la rébellion du Dadaïsme, la déconstruction du Cubisme, l’onirisme du Surréalisme, l’explosion de la couleur dans l’Abstraction lyrique, le silence de l’Art conceptuel… tous se sont nourris des avancées matérielles et des mutations du regard.

Mais l’art, en s’aventurant vers la modernité, a déconstruit son propre langage. L’Art contemporain, dans son sillage conceptuel, ne s’attarde plus à la seule surface peinte : il interroge l’essence même de la représentation. Pourtant, aujourd’hui, une multitude d’artistes – plus ou moins aguerris – persistent dans une quête de style graphique autonome, déconnectée de toute réflexion idéologique.

Certains manient la peinture avec la précision d’un scalpel, restituant le réel avec une virtuosité qui confine à la prouesse technique. Le portrait hyperréaliste, ciselé avec la rigueur d’un capteur photographique, s’offre au regard comme une illusion trompeuse. Mais au-delà de la prouesse, où réside l’art ? Une simple copie ne saurait engendrer ni émotion ni questionnement. Elle s’assoit dans l’aisance du savoir-faire, mais déserte l’espace du sens.

Face à cette rigidité de l’exactitude, j’opte pour l’éloge de l’approximation. Mes images ne cherchent pas à figer la vérité dans une cage de pixels, mais à offrir des bribes de réminiscence, des formes à peine émergées de la mémoire. Ce que la Gestalt théorise, je le peins : une perception fragmentaire, mais suffisante pour ranimer l’essence d’un visage.

Mon approche se distingue radicalement de la photographie. Là où l’appareil capte la surface, ma peinture cherche l’essence. Loin de m’abandonner à la simple reproduction, j’explore l’altération comme principe générateur. Dans mon portrait de Benoît Hamon, l’individu n’est pas un calque du réel, mais une évocation vibrante. Les formes brisées, les éclats de couleur et les traits suggérés participent à une reconstruction mentale où l’œil complète ce que la main ne trace pas. Cette dissociation du trait et de la matière crée un espace de liberté interprétative où la mémoire du spectateur s’active. La figuration devient alors un jeu d’équilibre entre la fidélité et l’abstraction, entre la reconnaissance et l’évasion.

De plus, mes portraits adoptent un format carré et ne sont jamais peints à fond perdu. La toile demeure visible, préservant des zones non peintes à l’intérieur des formes. Ces espaces vierges ne sont pas des absences, mais des respirations dans l’image, des lacunes volontaires qui évoquent une peinture de l’oubli, une mise en tension entre le plein et le vide, entre la présence et l’absence. Un peu comme si je peignais des trous. C’est troublant non ?

Dans cette errance volontaire entre le précis et l’indéfini, je questionne la mémoire numérique, cette mémoire glaciale et exempte d’affect, qui archive sans jamais ressentir. Le souvenir humain, lui, est capricieux : il bâcle certains traits, en exagère d’autres, reconstruit dans l’ombre de l’oubli. C’est dans cet espace vacillant que mon travail se révèle, laissant le spectateur recomposer ce qui lui échappe.

Mon approche s’inscrit pleinement dans une démarche conceptuelle, mais avec un soin particulier porté à l’esthétisme. La couleur, déclinée en camaïeux, insuffle une vibration sensible à ces portraits volontairement inachevés. L’image ne s’impose pas, elle se laisse deviner. Elle vit dans cet entre-deux où le réel n’est plus une certitude, mais une suggestion.

Ainsi, peindre, ce n’est pas simplement décrire. C’est s’avancer dans l’incertain, et dans ce flou volontaire, capturer quelque chose de plus grand que la réalité elle-même.